L’être humain est fascinant.
Donne-lui de quoi apprendre : il se refermera dans ses certitudes.
Offre-lui des outils de communication : il construira des murs plutôt que des ponts.
Accorde-lui des droits : il en fera des privilèges.
Propose-lui la liberté : il l’utilisera pour nier celle des autres.
Donne-lui de quoi s’élever : il s’en servira pour écraser.

Et paradoxalement, Internet, conçu pour connecter, est devenu un champ de bataille du moi. C’est l’un des endroits où les échanges devraient être les plus riches, mais où ils deviennent souvent les plus stériles.

Le narcissisme digital, qu’est-ce que c’est ?

C’est ce phénomène étrange où chaque contenu devient personnel, même quand il ne l’est pas.

Quelqu’un poste une recette à base de pois chiches.
En retour :
– « Super, et tu penses pas aux gens qui n’aiment pas ça ? »
– « Merci d’essayer de me tuer, je suis allergique. »

Même les publications les plus anodines deviennent des terrains de conflit. Une simple recette, une anecdote, un avis, tout est prétexte à s’indigner. Parce que si ça ne me concerne pas, alors ça me blesse.

On ne dit plus : « Je passe mon chemin. »
On dit : « Je suis offensé de ne pas avoir été pris en compte. »

Quand tout devient personnel, même une idée abstraite devient une attaque.

Le réflexe du « moi d’abord »

Ce narcissisme digital repose sur un mécanisme bien huilé :

  1. Je lis un contenu.
  2. Je cherche en quoi il me concerne.
  3. S’il ne me parle pas directement, je l’interprète comme une attaque.

Un gâteau au chocolat ? Il faut qu’il soit sans gluten, sans sucre, sans lait, sans œufs, et surtout sans culpabilité.
Sinon, c’est une exclusion. Une micro-agression. Une injustice.

Mais pourquoi en est-on arrivé là ?

Plusieurs couches se sont superposées avec le temps, jusqu’à faire dérailler le système :

  • Les réseaux sociaux ont inversé la logique : on ne lit plus pour comprendre, on lit pour réagir. Et le plus fort, le plus outré, le plus blessé attire l’attention.
  • Les algorithmes ont amplifié cela. Leur objectif : maximiser notre temps d’écran. Et pour ça, rien de mieux que l’indignation.
  • L’ultra-individualisme a fait le reste : mon vécu, mes émotions, mon ressenti deviennent la grille de lecture unique du monde.
  • L’absence de filtre : tout le monde peut commenter, à tout moment, sans réfléchir, sans nuance, sans contexte. Résultat : tout devient personnel, même quand ça ne l’est pas.
une recette anodine qui devient sujet d’indignation

Reprendre le contrôle : comment enrayer la dérive ?

Constater ne suffit pas. Il faut réapprendre à respirer. Ralentir. Modifier nos réflexes.

Je me souviens d’un post anodin : une photo de smoothie aux fruits rouges. Rien d’hostile, rien de polémique. Pourtant, les commentaires fusaient : trop sucré, pas local, dangereux pour les allergiques.
J’étais tenté de répondre, de remettre un peu de calme. Et puis j’ai respiré. Ce n’était pas une attaque. C’était juste un smoothie.
Depuis, je choisis le silence plus souvent. Ce n’est pas fuir, c’est préserver son énergie.

Le silence n’est pas une faiblesse. C’est parfois une élégance.

Cinq gestes pour retrouver du bon sens numérique :

Accepte que tout ne te concerne pas.
Ce que tu lis n’est pas toujours pour toi. Et c’est très bien comme ça.
Parfois, ne rien dire, c’est la meilleure des réponses.

Réagir ou réfléchir ?
Ressentir ne justifie pas une réaction.
Demande-toi : Est-ce que j’aide ? Ou je veux juste exister ?

Pratique le silence numérique.
Ce n’est pas parce que tu peux commenter que tu dois le faire.
Le silence, c’est parfois juste être digne.

Favorise le dialogue, pas l’impulsion.
Prends le temps de comprendre avant de répondre.
Un « Je ne suis pas d’accord, mais je respecte » vaut mieux qu’un gif moqueur.

Reviens à l’autre.

Derrière chaque post, il y a quelqu’un.

Internet ne deviendra humain… que si l’on y agit comme tel.

Parfois, la meilleure réponse, c’est simplement de passer son chemin.

Une époque hypersensible, hyperconnectée, hypercentrée sur soi

Ce n’est pas la technologie le problème.
C’est ce que nous en faisons.
Le savoir est là, la liberté est là, les outils sont là.
Mais à force de tout ramener à soi, on ne voit plus l’autre.

On exige un monde taillé sur mesure, et on oublie que l’altérité est la vraie richesse.
Alors parfois, le plus grand acte de sagesse, c’est de simplement passer son chemin,
sans crier,
sans corriger,
sans exister partout.

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