Hier soir, je traînais sur YouTube. Une vidéo sur l’histoire de Messenger. Rien d’extraordinaire, juste une petite dose de nostalgie avant de dormir. Et comme d’habitude, je me suis laissé aspirer par les commentaires. Tu sais comment ça se passe : les éternels nostalgiques qui racontent que « c’était mieux avant », d’autres qui remercient pour la dose de souvenirs, et puis les trolls habituels.

Et là, au milieu de tout ça, je tombe sur ce message :

« J’ai pas connu (gen Z) mais ça devait être chaud d’attendre que les gens se connectent, vous faisiez quoi en attendant ? »

Sur le moment, j’ai levé un sourcil.

Ma première réaction

Sérieusement ? « Chaud d’attendre » ? On faisait quoi ??

Ma première pensée a été typique d’un vieux con de trentenaire : « Ah, ces jeunes qui veulent tout, tout de suite. Ils ne peuvent même pas imaginer attendre cinq minutes sans faire une crise d’anxiété. »

J’étais prêt à taper une réponse bien condescendante. Tu sais, le genre : « Eh bien mon petit, nous on savait vivre, nous ! On lisait, on réfléchissait, on gribouillait… » Bref, le couplet moralisateur habituel.

Mais quelque chose m’a arrêté.

Attends un peu…

J’ai relu le message. Deux fois. Trois fois même.

Pas une faute d’orthographe. Une syntaxe claire. Une ponctuation propre. Et surtout, ce petit « gen Z » entre parenthèses, comme pour s’excuser de ne pas avoir vécu cette époque. Presque timide.

Ce jeune, c’était pas un « jeune con » comme on le dit trop vite. C’était juste quelqu’un qui essayait sincèrement de comprendre un truc qu’il n’a jamais vécu : attendre.

Et là, ça m’a frappé. Cette question, elle était pas stupide du tout. Elle était même profonde sans le vouloir.

Comment expliquer l’attente à quelqu’un qui ne l’a jamais connue ?

Pour comprendre sa question, il faut saisir son monde. Cette génération n’a jamais connu la déconnexion. Leurs amis ne « se connectent » pas, ils sont simplement là, quelque part dans l’éther numérique. Un message envoyé à 14h42 qui n’obtient pas de réponse dans l’heure génère de l’anxiété. Les « vu » sans réponse deviennent des drames existentiels.

Ils ont grandi dans l’économie de l’attention, où chaque seconde doit être rentabilisée, optimisée, documentée. L’idée de rester devant un écran à ne rien faire en attendant qu’un copain daigne se manifester leur semble aussi obsolète que d’attendre le passage du laitier.

L’économie de l’attention

Qu’est-ce qu’on faisait alors ?

Alors, qu’est-ce qu’on faisait pendant qu’on attendait sur MSN ?

Honnêtement, rien d’extraordinaire. On regardait par la fenêtre. On grignotait. On relisait de vieux messages. On changeait notre pseudo pour la quinzième fois de la journée, histoire de faire le mystérieux avec une phrase cryptique du genre « ♪ La vie est belle mais compliquée ♪ ». On tripatouillait notre profil. Parfois on abandonnait carrément l’ordinateur pour aller pisser ou se faire un thé, en espérant rater personne.

L’attente, c’était juste ça : du temps qui passe sans qu’on le remplisse frénétiquement. Et bizarrement, ça ne nous tuait pas. On survivait même très bien à ces moments de vide.

Mais il y avait un truc. Quand ton pote finissait par se connecter, ça comptait. Pas parce que c’était magique, mais parce que tu avais attendu. L’effort rendait la récompense plus satisfaisante. Ce petit « ding » quand quelqu’un arrivait en ligne, c’était un mini-événement.

Le temps d’avant les notifications

À l’époque, quand on était avec des gens, on était vraiment avec eux. Pas de vibrations dans la poche, pas de notifications qui clignotent. On vivait l’instant sans être arraché toutes les trois minutes par un message urgent qui ne l’était pas vraiment.

Je me souviens de ces soirées où on traînait avec les potes jusqu’à 22h, et ensuite chacun rentrait chez soi pour se retrouver sur MSN. C’était notre rituel. On continuait notre journée, on racontait ce qu’on avait vécu, on prolongeait les conversations. Un moment dédié, choisi.

Maintenant ? On mange avec sa famille en répondant à des messages. On boit un verre avec des amis en checkant Instagram. On vit à moitié, toujours un pied dans le virtuel.

plus de réseau, moins de social

Ce que j’ai réalisé ce soir-là

Cette question innocente m’a fait réaliser quelque chose d’important : on juge trop vite les générations.

Ce jeune ne critiquait pas notre époque. Il ne disait pas que c’était nul ou archaïque. Il essayait juste de comprendre. Et moi, dans ma première réaction, j’étais tombé dans le piège du « c’était mieux avant ».

Sa curiosité était sincère. Anthropologique, même. Comment des gens normaux pouvaient-ils supporter ces temps morts ? Qu’est-ce qui se passait dans leurs têtes pendant ces moments de suspension ?

Pas besoin de romantiser

La vérité, c’est qu’on ne faisait rien d’extraordinaire. On s’ennuyait, parfois. On patientait. Et ça ne nous tuait pas.

Sa question révèle surtout l’ampleur du changement. Pour lui, l’idée d’un temps « improductif » semble inconcevable. Mais nous, on n’avait pas le choix. Et peut-être que c’est justement ça qui nous manque aujourd’hui : ces moments où on ne peut rien optimiser, rien accélérer.

Ce que j’aurais dû lui répondre

Plutôt que de lever les yeux au ciel, j’aurais dû lui dire merci. Merci de m’avoir fait réaliser que la nostalgie peut être un piège, mais que la curiosité, elle, ouvre des portes.

Peut-être que sa question, au fond, n’était pas si innocente. Peut-être qu’inconsciemment, la Gen Z ressent ce manque. Cette absence de vide, de temps mort, de respiration. Et peut-être que nous, les « anciens », avons quelque chose à leur transmettre : non pas la nostalgie d’un temps révolu, mais la sagesse de l’attente.

Parce qu’apprendre à attendre, c’est apprendre à espérer. Et ça, c’est intemporel.

Apprendre à attendre

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