Aimes-tu ta vie ?

Cette question, je suis sûr que tu te l’es déjà posée

Tout le monde l’a déjà fait. C’est légitime. Qui est réellement heureux/se de sa vie ? Moi, pas vraiment.

Je n’ai clairement pas fait ce à quoi j’étais destiné. Je suis un créateur, mon truc, c’est de raconter des histoires, d’inventer, de créer.
Spoiler alerte! Ce n’est pas du tout ce que je fais pour gagner ma vie.

Quand je pense à ce moment où ma vie aurait pu être différente, je pense toujours à ce repas, dans un restaurant italien, avec ma mère. Elle venait de survivre à son premier cancer.
Lors de ce repas, ma mère m’a parlé de mon intérêt pour le cinéma, pour la création, pour la réalisation. Elle me connaissait mieux que je ne me connaissais moi-même.

« Je suis prête à investir l’argent qu’il te faudra pour que tu puisses devenir ce qui te plait, car ce que tu as fait jusqu’à présent ne t’a jamais vraiment correspondu. »

Je savais que ma famille ne roulait pas sur l’or, alors entendre ça avait forcément un impact sur moi.

J’avais terminé mes études et j’étais diplômé, mais sans travail depuis un moment. Je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie.

Elle me posa cette question toute simple : « Quand est-ce que tu t’es senti à ta place pour la première fois ? »

Le devoir qui a changé ma vie

Nous sommes en 1994, la professeur de français nous donne un devoir écrit.
Le sujet :

« Écris une histoire avec un message écologique »

Un sujet plutôt simple dit comme cela.
Elle rajoute :

« Nous choisirons la meilleure histoire pour réaliser une vidéo avec Philippe (le responsable à l’époque des animations du collège).

J’ai écrit l’histoire d’un prêtre du Moyen Âge qui avait découvert le moyen de s’endormir jusqu’en 1994 sans veillir. L’histoire raconte la réaction de cet ecclésiastique à la découverte de notre monde. Dégoûté par notre nourriture, assourdi par nos bruits et étouffé à cause de notre pollution, il décide à la fin de mon histoire de retourner dans un sommeil profond, persuadé qu’il n’a plus sa place dans notre monde.

« Honnêtement, vous n’avez pas fait beaucoup d’efforts », déclare notre professeur de français. « Mais du coup, le choix fut facile, car un seul devoir était bon…. Jérôme, c’est ton histoire qui a été choisie ».

Tu n’imagines pas la fierté que ce fut pour moi. Moi, un élève arrivé en cours d’année.

« Et maintenant, il faut choisir notre acteur principal, celui qui va jouer le prêtre ». Le calme retentit dans la classe.

Une main finit par se lever, la mienne.

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La découverte

Me voici donc déguisé en prêtre au milieu de la cour du collège.
Philippe le réalisateur du film nous fit entrer dans la cantine pour la scène du poulet. En gros, mon personnage devait goûter la nourriture actuelle et détester le goût de nos produits modifiés.
Lors de la première scène, Philippe posa une question :

« Comment faire plusieurs angles de caméra dans un film quand tu n’as qu’une seule caméra ? »

La classe resta silencieuse, même la prof de français n’avait pas la réponse apparemment.

« En filmant plusieurs fois avec des angles différents », dis-je comme si c’était une évidence alors que je n’en avais aucune idée.

« C’est qu’il va finir par faire du cinéma », dit Philippe en souriant.

Les scènes s’enchaînent durant la journée jusqu’au plan final, en fin d’après-midi. Tout le monde est retourné à ses activités en fin de journée, bien content d’avoir passé un après-midi à ne pas faire cours. Pourtant, pour moi, il était évident que le film était loin d’être fini.
Je savais que Philippe allait monter le film dans la régie du collège.
Comment le savais-je ?
Tout simplement car je faisais partie de l’équipe technique des spectacles. En gros, j’étais à la régie lors des spectacles, régie que gérait Philippe. Je savais donc que c’était ici qu’il allait monter son film.
Et je voulais voir comment il allait faire. 
Je suis donc rentré dans la régie et me suis caché. De là où j’étais, je pouvais voir la table de mixage sans être vu.

La magie opère:

Rapidement Philippe monta les rushs, tout en râlant sur notre jeu d’acteur. J’avoue avoir été vexé sur le coup.
Mais devant mes yeux je voyais la magie opérer, la première scène prenait forme.

Quand tout à coup une personne est arrivée pour demander un coup de main à Philippe qui quitta la pièce.
Ils avaient une réunion à 18h00 et il était 18h15.

Quoi, déjà 18h ???? Et dire que je finissais à 17h.

Je m’empressais de sortir de la loge, trouvais une cabine téléphonique pour appeler ma mère :

« Maman, j’ai raté le bus. »

Je vous rapelle que l'on montait des videos sur mini vhs à l'époque,

Un nouveau monde

Le soir même, une chose m’obséda. C’était donc comme ça que l’on montait les films et séries que je regardais. Je me remémorais en boucle cette journée en essayant de convertir ce que j’avais vu transposé sur un film professionnel. Une chose qui deviendra bien plus claire pour moi quand je découvrirai, quelques années plus tard, les making-offs sur les DVD.

Je vis le film comme le reste de la classe lors de sa diffusion en cours de français. Et si pour la plupart des élèves, ce visionnage fut gênant, pour moi tout devenait clair, je devais en apprendre plus sur le cinéma.

Mon oncle Jacques était un passionné de films d’action, sa vidéothèque était pleine de films. Me voici devant des films toujours cultes aujourd’hui : L’Arme fatale, Le Flic de Beverly Hills, Piège de cristal, ou bien un nouveau film qui venait de sortir à ce moment-là, Speed.

« Je peux t’emprunter des cassettes, tonton ? »

une collection de VHS, ca prenait de la place

Mais malheureusement

C’était donc à ce moment-là que je me suis senti à ma place pour la première fois. Ma mère le savait. Elle était la seule capable de me lire comme un livre ouvert.

« Je mettrai l’argent qu’il faudra, mais tu partiras à Paris faire des études de cinéma et tu vivras de ta passion. Je ferai tout pour ça », me dit-elle.

Enfin, ma vie allait changer. Ma mère venait de mettre des mots sur ce qui me manquait. Enfin, l’un de mes parents me comprenait et me poussait à faire ce qui me plaisait vraiment.

Sauf que cette fichue maladie est revenue et a anéanti tous mes espoirs. À ce moment-là, la proposition de ma mère n’avait plus d’importance. Je décida de laisser tomber mon rêve de cinema. 

Mais c’est pourtant pour cette personne, la seule qui ne m’a jamais comprise, la seule qui a cru en moi, que j’ai réalisé la vidéo la plus difficile de ma viecelle de ses derniers moments en famille.

Et maintenant …

Je sais ce que tu vas dire : pourquoi n’as-tu pas quand même essayé ? Pourquoi ne t’es-tu pas lancé malgré tout après la perte de ta mère ?

Il y a plusieurs raisons. Avoir perdu la seule personne qui me comprenait et qui croyait en moi, ne pas être entouré de personnes partageant le même objectif, vivre dans un village isolé dans le sud, le manque de moyens. Et puis ma propre famille m’a pris beaucoup de temps. Ce sont simplement les aléas de la vie.

Aujourd’hui, je sais très bien que je ne pourrai plus réaliser mes rêves. Je suis maintenant pris par les factures, les crédits, les réunions parents-professeurs et les nuits trop courtes. Je ne peux plus changer cela.

Alors, si tu as une passion, lance-toi, n’attends pas qu’une société, un travail ou une vie de famille t’empêche de faire ce qui t’anime vraiment.

Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. J’aime ma famille plus que tout. Mais je suis devenu qu’un père, au lieu d’être devenu ….. moi.

Image par Bananayota de Pixabay

djekill

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