développement personnel,  Histoire personnelle

D’une génération à l’autre : ce que le harcèlement m’a appris

Le gamin qui avait peur

Je devais être en sixième. Tu sais, cet âge bizarre où tu n’es plus vraiment un enfant mais pas encore un ado. Juste un gamin qui aurait voulu aller à l’école sans avoir peur. Mais moi, j’avais peur.

Au collège, j’étais ce qu’on appelle aujourd’hui une « cible facile ». Trop calme, pas bagarreur, sans défense. J’avais toujours eu peur de me battre. Pas parce que j’avais peur d’avoir mal… mais parce que j’avais peur de faire mal aux autres. Tu vas me dire que c’est bizarre. Qui a peur de blesser ceux qui nous frappent ? Moi, apparemment.

Un jour, tout a basculé.

J’entre dans les toilettes du collège. La lumière s’éteint. Les coups commencent à pleuvoir. Je me rappelle les rires. Je me rappelle le sol froid. Et ce goût de sang dans ma bouche.

Quand la lumière s’est rallumée, j’étais par terre. Tabassé. La joue en feu, les jambes qui tremblent, la peur dans le ventre. J’ai rien dit. À personne. Chez moi, « être un homme » c’était ne pas se plaindre. Alors j’ai fermé ma gueule.

Mon corps qui parle à ma place

Tu sais ce qui s’est passé après ? Mon corps a pris le relais.

Quelques jours plus tard, chaque matin avant d’aller en cours, je faisais de la fièvre. Rien le soir. Rien la nuit. Juste le matin. Juste quand il fallait y retourner.

Ma mère pensait à un virus. Elle me laissait rester à la maison. Mais la fièvre revenait. Chaque matin. Comme une horloge. Elle a commencé à s’inquiéter. Médecins, analyses, examens. Personne ne comprenait. Moi, au fond, je savais. Mais comment dire à ses parents qu’on préfère tomber malade que retourner là où on te cogne ?

Et puis, un jour, mon corps a arrêté de faire semblant. Alors j’ai triché.

La fièvre au radiateur

Tu vas rire. Quand ma mère me donnait le thermomètre, elle repartait. Et moi, j’allais le coller contre le radiateur. Juste assez pour que ça monte. Juste assez pour rester à la maison.

J’ai fini par être hospitalisé.

À l’hôpital, j’ai découvert quelque chose que je n’avais jamais compris : la vraie maladie. Pas celle qu’on s’invente pour fuir. La maladie qui te grignote les forces, qui prend tout. J’ai croisé des enfants avec des cancers, des trucs que je ne comprenais pas encore, mais que je voyais dans leurs yeux.

Et là, j’ai eu honte. Pas d’avoir menti. Mais de ne pas avoir su demander de l’aide.

Le thermomètre cassé

Quand je suis rentré chez moi, j’ai voulu recommencer. Le thermomètre, le radiateur, tu connais la musique. Sauf que ce jour-là, ma mère est revenue dans la pièce. Je me suis affolé. J’ai fait tomber le thermomètre.

Il s’est cassé.

Et tout s’est arrêté. Je ne pouvais plus mentir. J’ai dû tout lui raconter. Les coups. La peur. La lumière qui s’éteint. Le goût du sang. L’envie de disparaître plutôt que d’y retourner.

Le jour où elle a compris

Tu sais quoi ? Longtemps, ma mère a cru que ma peur de faire mal aux autres, c’était juste une excuse. Elle pensait que je ne voulais juste pas avouer que j’avais peur d’en prendre une. Elle me l’a avoué bien plus tard, quand tout était passé.

Et puis un jour, c’est arrivé.

Un autre gamin m’a cherché. Cette fois, c’est moi qui ai réagi. Le coup est parti tout seul. Il est tombé. Et quand je l’ai vu au sol, j’ai pleuré. Pas parce que j’avais mal. Mais parce que pour la première fois, c’est moi qui avais fait mal. Et je ne pouvais pas le supporter.

Ma mère était là. Elle m’a vu. Elle a compris.

Elle a compris que ce que je disais depuis des années, ce n’était pas une excuse. C’était vrai. J’avais peur de devenir celui qui blesse. Pas d’être celui qu’on blesse.

D’hier à aujourd’hui

Je viens d’une époque où les émotions, on les cachait. Où un garçon devait se taire. Se tenir droit. Pas faire d’histoires. Tu pleurais ? T’étais une mauviette. Tu disais que tu avais peur ? « Arrête de faire ton cinéma. »

Mon harcèlement, c’était à l’ancienne. Des coups dans les couloirs. Des moqueries dans les vestiaires. Des insultes quand les profs ne regardaient pas. Un truc « brut », physique, qu’on voyait mais qu’on ne voulait pas voir. On appelait ça des « histoires de gamins ». Il fallait « encaisser », « faire avec ».

Aujourd’hui, on parle plus. On pose des mots. Le mot « harcèlement » existe enfin. Mais le problème n’a pas disparu. Il a juste changé de forme.

Il s’est glissé dans les téléphones. Dans les groupes WhatsApp. Dans les stories Insta. Dans les commentaires TikTok. Dans les faux profils, les captures d’écran, les silences organisés.

Le harcèlement moderne, on ne le voit pas. Mais il est partout. Il ne s’arrête plus aux grilles de l’école. Il suit les gosses chez eux, dans leur chambre, dans leur lit. 24h/24.

Mon fils et mes erreurs

Mon fils aussi a été différent. Trop sensible. Trop original. Trop lui-même. Comme moi, il avait ce besoin d’être vu. D’exister dans le regard des autres. Mais ce besoin-là, mal compris, cela devient vite un défaut. Il a fini par agacer. Et agacer, c’est souvent le début du rejet.

Pour lui, les coups étaient à la fois physiques et verbaux. Comme à mon époque, finalement. Il était encore trop jeune pour les réseaux, pour les messages, pour tout ce harcèlement numérique dont on parle aujourd’hui. Mais les coups et les mots, ça suffisait déjà.

Et moi, qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai eu la même réaction que mon père. « Ce n’est rien. Ce sont des gamins. Ils jouent. Ne t’en fais pas. » J’ai dit ces phrases qu’on m’avait dites. J’étais devenu l’adulte qui m’avait ignoré à l’époque.

Ce que j’ai appris

Aujourd’hui, je ne fuis plus. Pas parce que je suis devenu plus fort. Mais parce que j’ai appris à poser des mots sur mes blessures. J’ai compris qu’avoir mal ne fait pas de nous des faibles. Et qu’inventer une fièvre, c’est souvent le seul moyen qu’on trouve pour dire ce qu’on ne peut pas dire autrement.

Je n’ai jamais vraiment appris à me battre. Mais j’ai appris à me relever. Et ça, c’est déjà pas mal.

Pour mon fils, je suis passé à côté au début. Mais j’ai fini par l’écouter. Par le croire. Par l’accompagner. C’est tout ce qu’on peut faire : être là. Vraiment là.

Ce qui change pas

Qu’il soit ancien ou moderne, le harcèlement a toujours les mêmes ingrédients : il s’installe dans le temps, il vise ce qui est différent, il compte sur le silence, et il marche parce qu’on reste passif.

C’est rarement un grand événement. C’est l’accumulation. Les petits mots, les regards, les silences, les moqueries « pour rire ». Jusqu’à ce que la victime ose plus venir. Ou fasse semblant d’être malade.

Tiens, ça me rappelle quelqu’un…

Et maintenant ?

Il ne s’agit pas de diaboliser les gosses, ni les réseaux. Mais d’apprendre à écouter vraiment. À détecter les signaux faibles. À ouvrir le dialogue. À comprendre que le harcèlement, ce n’est pas un mauvais moment à passer. Ce n’est pas un « rite de passage ». C’est du poison.

C’est à nous, adultes, parents, profs, de désamorcer la bombe avant qu’elle explose. Même si c’est inconfortable. Même si ça nous oblige à nous remettre en question. Même si ça veut dire reconnaître qu’on n’a pas vu. Qu’on n’a pas su.

Je n’écris pas pour accuser. J’écris parce que je sais ce que ça fait de se sentir seul. J’écris parce que parfois, un simple mot peut éviter un gouffre. J’écris parce que dans cette histoire, je suis à la fois l’enfant blessé, le père qui rate le coche, et l’homme qui comprend enfin.

Si tu lis ça, toi qui es peut-être passé par là, ou qui connais quelqu’un qui souffre, retiens juste ça : ce gamin de sixième qui faisait semblant d’avoir de la fièvre, il avait juste besoin qu’on lui dise qu’il n’était pas seul.

Aujourd’hui, quand je regarde mon fils, je sais une chose : si jamais il me dit qu’il a mal, je ne lui demanderai pas de prendre sur lui. Je lui demanderai de me raconter.

Parce que la vraie force, ce n’est pas d’encaisser en silence. C’est de savoir dire quand ça ne va pas. Et d’être là quand quelqu’un nous le dit.

C’est tout ce qu’on peut faire. Mais c’est déjà un début vers la guérison. 

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